Bouchra Jarrar : qui est-elle et que fait-elle ?
Depuis 2010, la créatrice indépendante de haute couture Bouchra Jarrar dessine des vêtements portables hors des podiums. Aujourd'hui, elle est nommée à la tête de la direction artisitique de Lanvin et succède à Alber Elbaz.
Première parution Nouvelles Obs
Qui est-elle ?
Il y a d’abord ces mains, déliées et agiles. Sans fragilité aucune, et redoutablement précises. Des mains de couturière. Ce subtil mélange de force et de délicatesse a pris corps chez Bouchra Jarrar. Mais les apparences sont (presque) toujours trompeuses : derrière l’allure discrète et menue de la créatrice, à la voix douce et mélodieuse, se cachent une volonté, une détermination et une simplicité constantes. Bouchra Jarrar, 44 ans, ne correspond à aucun moule : rare styliste indépendante dans la haute couture, elle mène depuis cinq ans sa barque, plus caravelle solide aux voiles légères que paquebot haut comme un immeuble. "Je ne suis pas obsédée par la question de l’indépendance face aux géants du luxe. Je ne suis pas dans la revendication ou dans l’affirmation intempestive de cela. Mais je suis déterminée, explique cette accro au running. Pour moi, les choses se sont faites naturellement. Pouvoir m’exprimer à ma façon m’est apparu comme une nécessité : je crée les collections à ma mesure, à mon rythme, et cela fonctionne."
D'où vient-elle ?
Bouchra Jarrar a lancé sa griffe à presque 40 ans, "une fois sa formation terminée", dit-elle. Née à Cannes, la sixième et avantd ernière de la fratrie, d’origine marocaine, eut tôt le goût de la couture, du geste "qui réalise l’imaginaire, qui fait le lien entre le cerveau et la main". A 21 ans, elle arrive à Paris, étudie l’histoire de l’art à la fac puis intègre l’Ecole Duperré. Elle passera dix ans chez Balenciaga avec Nicolas Ghesquière, puis travaillera chez Christian Lacroix, de 2006 à 2009.
"J’avais soif d’apprendre, j’avais besoin de comprendre l’univers de la haute couture, ses clientes, ses artisans...""
Elle monte par la suite sa propre maison, autofinancée et rentable, car réaliste. Chez elle, pas de noms de collections alambiqués, pas d’inspirations précises ("Je déteste les voyages !"), pas de lignes de sacs, pas d’égérie.
"Je veux garder ma liberté, créer avec plaisir pour des femmes que je rencontre."
Dans le cloître du lycée Henri-IV, où se tiennent ses défilés, ses mannequins ne sont pas de petites choses fragiles : elles avancent en pantalons couture, en déshabillés aux tonalités PATRICK SWIRC neutres "mais pas mièvres".
"Pour la collection hiver, je voulais que les modèles soient à plat, chaussés de derbies. Ce ne sont pas des déesses !"
Cette couture "portable", voilà la patte Jarrar. Une mode féminine et masculine, forte. "Ma clientèle est constituée de femmes différentes, attirées par la nouveauté mais désireuses de piocher dans les anciennes collections. Les jeunes, notamment au Moyen-Orient, s’intéressent autant à Zara qu’à la haute couture. Elles font faire des retouches et s’achètent un McDo." Des filles de leur époque, comme elle qui suit l’actualité et s’en imprègne. Le résultat : une couture vivante, loin des hommages et des images d’Epinal.
Par Séverine De Smet