Fashion Week : la couture parie sur l’avenir
Karl Lagerfeld crée la surprise en dévoilant un nouveau matériau 3D dans un décor de casino, tandis que Giambattista Valli s’adresse à la jeunesse dorée et que se déploie, chez Bouchra Jarrar, une féminité forte et fragile à la fois.
Première parution Madam Figaro
La couture entre dans une ère de technologie nouvelle qui permet, pour la première fois, à une cliente de commander une tenue Chanel confectionnée exactement à ses mesures grâce à une forme inédite d’impression 3D. Cette technique - frittage ou sintérisation - utilise le laser pour fusionner la matière et créer une sorte de résille matelassée dont la texture, extraordinaire, semble sortie d’un roman de science-fiction. La série d’élégants tailleurs high-tech présentés hier par Karl Lagerfeld dans un tissu recouvert de ce « treillage » - qu’il soit peint, rebrodé de perles, de broderies, ou gansé de cuir - dégage énormément d’énergie. Leurs épaulettes militaires et leur coupe parfaite au-dessus du genou, aussi. Dans le prêt-à-porter, certains stylistes travaillent d’ores et déjà avec cette 3D, à l’instar de la Néerlandaise Iris van Herpen, mais ces silhouettes couture incarnent avec peut-être plus de pertinence encore les fantasmes actuels autour de la haute technologie. Légèrement alien, mais d’un grand chic, cet effet SF est tempéré par une coiffure à l’allure quasi médiévale, qualifiée par Lagerfeld de « chapeau cheveux ! ».
Pour le soir, le couturier imagine un monde précieux où l’abondance de tulle froncé évoque quelque sculpture ésotérique, même si la robe en elle-même reste très légère. Comme à l’accoutumée, sous la voûte inspirante du Grand Palais, Chanel fait un pari sur le décor : cette fois, c’est un casino Art déco, façon « Cercle privé » qui prend possession des lieux, avec de véritables bandits manchots estampillés d’un logo Chanel. Mais le vrai spectacle se déroule autour des tables de jeux où une douzaine de stars, en robe longue (ou cravate noire), arbore chacune une extraordinaire pièce de haute joaillerie maison. Kristen Stewart et Julianne Moore, en fourreau de velours vert, s’embrassent comme de vieilles amies et s’installent à la roulette.
La nouvelle coqueluche, Gabriel Day Lewis, fils de Daniel Day Lewis et d’Isabelle Adjani, dispense, quant à lui, à Vanessa Paradis ou Rita Ora quelques conseils sur l’art de converser avec les croupiers. « Ceci dit, je trouve que le jeu a perdu tout chic. Avez-vous vu comment les gens s’habillent pour se rendre au casino de Monaco ? Je ne comprends pas comment ils osent sortir ainsi de chez eux ! Je reste attaché à la mystique du jeu », ajoute Karl Lagerfeld, alors que l’habituelle nuée de journalistes, blogueurs, cameramen et autres êtres humains ordinaires gravite frénétiquement autour de lui pour le complimenter.
Comment renouveler la couture ? Comment capter ce petit millier de clientes dans le monde qui convoitent ces pièces uniques recélant un savoir-faire rare - et qui aiment que cela se voit -, sans tomber dans l’esthétique « Alta Moda » ? Raf Simons, depuis son arrivée chez Dior, tâche de résoudre la quadrature du cercle, parfois en frôlant les limites de l’exercice, ou comme, ce lundi, en parvenant à un remarquable équilibre qui fait que la couture prend tout son sens en tant que discipline artistique. À sa manière, Giambattista Valli aspire à la même cause et depuis les débuts de sa maison, il y a dix ans, exerce son talent à rendre sa couture désirable et contemporaine aux yeux d’une certaine jeunesse dorée. Quitte, cette saison, à pousser le curseur vers une forme d’extravagance invoquant les figures de Peggy Guggenheim et de Talitha Getty. Seulement la manière paraît artificielle, se traduisant par ces « poufs » de tulle greffés au dos de robes de cocktail, par des couleurs toxiques - jaune citrine, orange soda, mauve chimique -, par des incrustations de macramé sur le décolleté d’une robe courte hybride, compliquée. Les filles aux cheveux tie & dye souffrent en traînant les kilomètres de jupons de tulle. Pourtant, les excès n’enlèvent rien à la joliesse d’une robe de bal en faille de soie imprimé petit muguet passée sur un pantalon droit, ni à la force visuelle d’un flare brodé de plumes d’autruche. De la difficulté du glamour à l’âge d’Instagram.
En un sens, Bouchra Jarrar cède aussi à l’appel du glam mais elle parvient à intégrer dans son univers contrôlé, où la sensualité s’adresse davantage au cortex, une tendresse, une bienveillance envers une certaine image de la féminité. Même dans sa façon d’employer le plissé, elle fait se rencontrer deux images : les robes couture de Mme Grès et la fragilité lascive d’une Marilyn. Plus tôt, Bouchra Jarrar évoquait le travail de son complice et make-up artist, Tom Pecheux, sa façon d’aborder les tonalités pastel qu’elle reprend à son compte. Poudré, et non pas rose, elle insiste. Avoue aussi avoir exploré une nouvelle palette, des poudrés très dilués, des coloris champagne, ainsi qu’un registre inédit, celui de la lingerie, mais une lingerie, tenue, structurée avec des gaines qui, sans contrainte, redressent la silhouette.
Une longue jupe en georgette japonaise noire joue sur la transparence, les bains de soleil se réchauffent sous un manteau kimono comme un peignoir de garçon - « curieusement, c’est la première fois que je dessine si long ». Les très beaux pantalons taille haute, le trench coupé à la ceinture en python chocolat, la veste de smoking sans manches aux revers criblés de cristaux et de plumes traitées comme de la fourrure dessinent une collection touchante, élégante, différente.