Des femmes hors du commun

 

Flamboyantes ou sobres, les collections qui ouvrent la saison parisienne défendent une féminité forte et assumée.

Première parution Le Monde

On a tout dit ou presque sur la « Parisienne » et « Paris capitale de la mode ». Mais, au-delà des clichés usés jusqu’à la trame, reste un esprit, un sens de l’allure qui attirent et inspirent les designers – français ou non – qui ont choisi de présenter ici. Cela se traduit avec d’autant plus d’éclat dans des collections qui osent mettre en avant une féminité sans complexes ni clichés (du moins chez les meilleurs). Dans une capitale où le chic est nonchalant, où les femmes n’ont pas à se battre pour des droits élémentaires (travailler, conduire, voter…), on peut être sexy sans être vulgaire, sobre sans être ennuyeuse, sensible sans être mièvre. S’habiller (re)devient excitant car on peut se projeter dans des imaginaires.

Celui de Dries Van Noten est particulièrement fort et spectaculaire. Le créateur belge est au meilleur de sa forme. Brocarts aux teintes de pierres précieuses rebrodés d’or éteint, imprimés seconde peau qui dessinent des fresques tatouages japonistes sur le corps des mannequins, robes années 1940 et brassières-soutiens-gorge magenta sur des envolées de dentelle : il y a ici beaucoup de poésie, un peu de nostalgie. Une grâce étrange aussi, radicale mais séduisante, une excentricité cultivée et apaisée.

L’excentricité est aussi au programme chez Maison Margiela, où John Galliano prend la main sur le prêt-à-porter. L’Anglais met en scène des bourgeoises déglinguées, très à l’aise dans leurs robes à fragments de miroirs voilés de mousseline, manteaux rebrodés de bijoux, jupes déstructurées ou animées de gros traits de peinture blanche. La recette est piquante : un sens de la mode brute et déconstruite que partagent le créateur britannique et le fondateur de la maison, additionné d’un peu de punk et de glamour rétro à la Galliano, le tout lié par une liberté d’esprit assumée. Et si ce vestiaire n’a rien de consensuel, son côté expérimental et ultra-féminin est le bienvenu dans un univers de mode devenu frileux.

Beaucoup d’énergie aussi chez Anthony Vaccarello, qui habille une femme sexy urbaine, sportive et sûre d’elle. Les vestes structurées d’esprit militaire ou rock croisent les minijupes asymétriques à brides, les robes débardeurs à paillettes rouges, les pantalons tailleurs impeccables, les jupes crayons fendues, les chemises et les jupes drapées à découpes façon hublot. Le créateur défend avec maîtrise et talent ce sex-appeal moderne et faussement accidentel que l’on attribue souvent aux Françaises.

Mais la flamboyance et l’excentricité ne réussissent pas à tout le monde. Chez Rochas, l’Italien Alessandro Dell’Acqua patine. Ses silhouettes de poupées aux volumes corolle patauds, ses chemises post-western brodées d’or et ses robes déshabillées sont trop compliquées pour être vraiment gracieuses. La maison qui fête cette année ses 90 ans ne parvient pas à hisser sa mode au niveau de la renommée de ses parfums.

Raffinement et féminité

Parfois, la réponse à l’éternelle quête de la féminité se trouve dans la sobriété. Un parti pris simple et périlleux qui ne supporte pas l’artifice. A Paris, les créateurs qui s’y risquent proposent bien davantage qu’une forme de minimalisme. Cédric Charlier livre ainsi une collection poétique et solaire. Coupe-vent multipoche en coton froissé, robe chemise ceinturée, tee-shirt kimono et jupe plissée, tunique aux motifs cloutés et longues robes débardeurs en mosaïque de mousseline incarnent une douceur athlétique et urbaine.

Sous le label Lemaire, Christophe Lemaire et Sarah-Linh Tran imaginent leur plus beau vestiaire. Les grandes robes chemises, les blouses qui dénudent les épaules et les pantalons amples coupés haut sur la cheville ont des rondeurs maîtrisées. Les superpositions de blanc, beige, noir et marine (avec une touche carmin) soulignent l’épure des lignes. La mode de Lemaire gagne en souplesse et sensualité sans perdre sa rigueur. Le résultat est sophistiqué et d’une grande douceur.

La collection de Bouchra Jarrar est également raffinée, dans un esprit « allure couture moderne ». La créatrice connue pour ses coupes tailleur et sa précision diversifie son style avec subtilité. Les trenchs couleur nuit à carrure étroite, les vestes façon smoking en denim japonais se mêlent aux jupes en peau extrafine (que l’on utilise d’habitude pour les gants), les pantalons de satin mi-uniforme mi-pyjama ; les blousons zébrés, les patchworks de matières graphiques et les superpositions de semi-transparences ajoutent des notes inattendues mais toujours chics et délicates à ce vestiaire pensé pour une femme en mouvement.

Toutes ces collections ont en commun une liberté de choix et d’expression. Ici, on ne dissimule pas sa personnalité derrière le « pratique », le « normal » qui rassurent quand on ne veut pas passer pour superficielle. Sans tomber dans la caricature, cette mode permet de piocher ce qui fait envie, de sortir de la masse et d’assortir son pantalon en brocart bleu canard ou son blouson zèbre à son diplôme de Sciences Po. Une forme de transgression qui réconcilie élégance et féminisme en somme.

Par Carine Bizet