Bouchra Jarrar, fascinée par la matière

 

La limpidité. L'évidence. Une couturière est née. Son troisième défilé, en janvier, pendant la semaine de la haute couture, était éblouissant.

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Première parution Télérama

Menue, la voix chantante, cette Cannoise de 40 ans s'est lancée dans la création après avoir secondé pendant dix ans Nicolas Ghesquière puis trois ans Christian Lacroix. « C'est l'air du temps qui m'intéresse,explique Bouchra Jarrar. Paris est une inspiration très forte pour moi. Je suis une fille du Sud, du soleil, et je suis venue chercher cette ville. » Chez elle, le vêtement s'invente en le faisant, en le touchant. « La matière me fascine, c'est elle qui va me donner des sensations. Une magnifique laine, une belle soie... J'achète beaucoup de tissu masculin chez les tailleurs londoniens. Ils sont très résistants, et puis, chez une femme, il y a toujours une part masculine, la vie nous y pousse... » Les vêtements d'hommes « sont toujours impeccables, justes ». Le loden, le shetland dont ils sont cousus donnent « des tombés magnifiques ». Les robes, vestes, pantalons qu'elle crée « au premier jet », sans même les dessiner (« le dessin complique tout ») reposent toujours sur un contraste. Du noir et de l'ivoire, par exemple. « Je cherche à harmoniser les opposés. Ils nous racontent : nous sommes le oui et le non. »

Son style est une recherche de l'intemporel. « Je n'ai pas de saison. Je porte les mêmes habits toute l'année, et je n'aime pas cette idée de cloisonner. » La technique est pour Bouchra Jarrar une passion, et l'atelier l'endroit où elle se sent le plus heureuse. Elle aime par-dessus tout le dialogue avec les artisans et les ouvrières. « J'ai passé beaucoup de temps avec les mécaniciennes-monteuses, qui sont les dernières de la hiérarchie d'une maison. C'est extraordinaire : ce sont elles, par leur travail, qui révèlent ce que l'on désire faire. » Bouchra Jarrar ne s'inscrit dans aucun mouvement. « Cela me met mal à l'aise qu'on me regroupe avec d'autres. J'ai le sentiment d'être à contre-courant, mais je l'assume. Il y a une telle vitesse dans la mode, une recherche effrénée du profit immédiat... J'ai envie de prendre le temps de présenter un vêtement. Je veux mettre en avant la qualité, et parler d'un savoir-faire : toujours évoquer la main. »

Par Xavier de Jarcy